Le voyage du loup

Je suis partie comme ça, un jour. Depuis toujours j’étais partie. Comme si j’étais venue au monde sans repères et que plus j’en apprenais sur les moeurs et coutumes de mes semblables et plus je m’éloignais de moi-même. Comme un cri au fond de moi qui ne cessait de hurler. Mais qui est ce loup qui hurle sans cesse? Ne pouvais-je donc pas suivre le pas. Il me semblait que j’errais tel un loup solitaire, croisant ses semblables, les aimant même passionnemment parfois, sans jamais pourtant partager avec eux totalement cet abîme qui me traversait, cet appel primordial à plonger dans le vide, telle une fièvre vertigineuse. Étais-je folle? Étais-je sage? Étais-je seulement moi qui essayais de se franchir un passage au creux des moeurs humains, au creux de mon ventre.

Il fallait partir. Mais où? Et pourquoi donc? Était-ce une fuite? Étais-je irresponsable? Serais-je un poids pour les gens que j’aimais. Trouverais-je un jour ma place?

Partir, se retirer du monde et plonger en-dedans. Il apparaissait que je devais quitter beaucoup de choses, beaucoup de gens et surtout beaucoup de concepts, de croyances, de préjugés, de peurs.

C’est ça, il me fallait vivre avec ma peur. Je ne poserais pas une action qui calmerait ma peur.
Non, je vivrais avec ma peur en avançant. Elle grandirait peut-être. Elle aurait peut-être eu raison cette peur de me faire frémir, d’avoir voulu me prévenir, mais ce jour-là, je décidai de partir avec ma peur, mon incertitude, mes non sens, mon non projet et mon sans avenir.

À l’aube de mes 44 ans, je partais, sans emploi, sans famille, sans projet, sans domicile. Je partais tout simplement comme on partait probablement quand le temps n’avait pas à être optimisé et où il fallait avoir des ambitions.

Voilà, c’était ça, je partais, sans ambition.

Ce jour où j’ai abdiqué

Mais abdiquer quoi au juste? De rentrer dans le moule, voilà. J’avais bien essayé pourtant. Et avec parfois, de grands et de petits succès. Mais intérieurement, c’était la faillite, la banqueroute. Que se passait-il? Pourquoi donc étais-je venue sur terre et pour quoi faire? C’est bien de profiter du voyage et d’admirer les beaux paysages, mais voilà, il y avait toujours ce ressenti intérieur comme quoi je n’étais pas venue pour cela. Mais pourquoi donc étais-je venue de nouveau sur cette terre? N’avais-je pas fait le tour de toute cette tristesse, de toute cette joie, de toutes ces émotions et de tous ces ressentis? Que voulait mon âme encore? Que voulait-elle expérimenter? N’avait-elle pas envie de passer à autre chose?

Philo, art, thérapie, plus rien n’y faisait. Il me fallait créer mon chemin. Mais pour la toute première fois de ma vie, plus aucun élan ne m’habitait. Et il fallait le faire! Qui était cette femme qui était entrée dans ma tête? Perturbée, certes, et déprimée, très certainement, mais aussi, en elle, une telle sensibilité, une part d’elle qui touchait de tels états de grâce qu’il me semblait qu’elle devait bien tenir quelque chose même si elle ne savait rien et n’avait aucun plan. C’est quand même angoissant de n’avoir aucun plan à la mi-temps de sa vie.

Il faut bien dire qu’il y avait eu ces grandes déceptions. Ces séparations. Ces pertes. Ces trahisons.

Il semblait que la coupe des déceptions avait débordée cette fois. Je ne pouvais plus en mettre. Alors je décidai de tout transmuter. J’ai décidé de transmuter ma perception et donc les événements. D’aller à la source. Transmuter non pas avec conviction, maîtrise et rigueur, mais plutôt avec incertitude et en toute humilité. J’avais envie de contre courant.

Je me blottis là, et je laissais toutes les vagues me traverser.

Je respirai profondément et touchai l’espace délicat d’entre les souffles, ce qui me donnai une infime tendresse et guida les tous premier pas.

*****

ÉPILOGUE

Le fantasme de la femme des bois

La plupart du temps, je me vois vivre dans les bois. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu l’intime conviction que la vie était plus riche dans les bois. Bien entendu et comme plusieurs, je nourris une connexion profonde avec la nature. Mais aussi, je m’y vois lire des livres dans une cabane avec des bougies et un feu qui danse. J’y suis seule. Songe récurrent d’une vie passée et prémonition d’un destin tracé, ce rêve est presque tangible.

Parfois, je me dis que je vais mourrir dans les bois. Seule. Mon corps nourrira les bêtes. Ce sera écolo.

Mais qui donc est cette femme qui marche pieds nus dans la rosée et qui pleure lorsqu’elle aime?

Je suis une enfant des bois.